
Comme l’indique le comité d’éthique de l’INSERM dans son rapport de février 2016 sur la technique CRISPR : la stratégie de modification des génomes n’est pas nouvelle. « CRISPR est venue détrôner toutes les autres approches déjà existantes, et ce pour quatre raisons : la précision, la rapidité, la fiabilité et le faible coût » du procédé. Cette technique, mise au point en 2012 par les chercheuses Emmanuelle Chapentier et Jennifer Doudna, permet d’enlever, d’ajouter ou de modifier une séquence d’ADN dans une région du génome choisie, comme le ferait un éditeur de texte. Par analogie, on parle également de « ciseaux moléculaires » car les modifications sont générées par une coupure au niveau de la séquence d’ADN à éditer. La machinerie de réparation de l’ADN de la cellule prend alors le relai pour réparer la cassure. Ce processus n’est pas efficace à 100%, ce qui peut permettre l’introduction de mutations pour invalider un gène précis. L’injection d’une séquence d’ADN exogène peut également servir de guide. Elle sera alors copiée lors de la réparation, permettant ainsi l’ajout d’une nouvelle séquence dans le génome. Ce dernier procédé est par exemple employé pour « corriger » un gène défectueux.
Une des applications de cette technique serait d’apporter une alternative à la thérapie génique, actuellement utilisée pour traiter des maladies monogéniques comme la mucoviscidose. La thérapie génique se base sur l’utilisation de virus comme vecteur pour permettre l’introduction de matériel génétique dans les cellules et ainsi « réparer » leur fonction. Les cellules modifiées sont alors introduites chez le patient. L’intégration de cette séquence d’ADN est cependant aléatoire, pouvant invalider d’autres gènes et ainsi causer des dysfonctionnements à l’origine de certains cancers. À l’inverse, CRISPR permet une intégration plus précise des fragments d’ADN dans le génome. Plusieurs compagnies envisagent d’ores et déjà l’utilisation de CRISPR dans le développement de nouvelles thérapies. Plusieurs essais cliniques sont déjà en cours en Chine, en Europe et aux Etats-Unis.
La modification du génome d’embryons humains
Bien que prometteuse, cette avancée technologique qu’est CRISPR inquiète, notamment en ce qui concerne la modification du génome d’embryons humains. En 2015, une équipe chinoise de l’université Sun Yat-sen signe la première publication d’embryons humains non-viables génétiquement modifiés. À l’époque, la technique n’en est encore qu’à ses balbutiements (faible taux de réussite, modifications génétiques peu fiables). En août 2017, la modification du génome d’embryons humains viables, c’est à dire pouvant potentiellement donner naissance à un individu, est publiée dans la revue Nature par une équipe de recherche américaine. Dans cette étude, les chercheurs se sont focalisés sur des embryons porteurs d’une mutation du gène MYBPC3 à l’origine de malformations cardiaques pouvant être fatales. Au moyen de l’outil moléculaire CRISPR, ils ont pu rétablir une version fonctionnelle du gène pour deux tiers des embryons testés. Le taux de réussite et la fiabilité de la modification ont ainsi été améliorés. Néanmoins, comme le confie le biologiste des cellules souches George Daley de la Faculté de médecine d’Harvard dans la revue Nature : « cette technologie semble fonctionnelle, mais est encore trop prématurée ». Ces travaux posent des questions éthiques quant à l’utilisation d’embryons humains et à la manipulation de leur génome, mais la limite de la naissance d’individus génétiquement modifiés n’avait pas encore était franchie.
2018 : Une nouvelle limite à été franchie
Le 27 novembre 2018, dans une vidéo postée sur YouTube, le généticien chinois He Jiankui a annoncé avoir modifié le génome de deux embryons humains viables qui ont donné naissance aux jumelles Lulu et Nana (les prénoms sont factices). Ce moyen de communication est peu conventionnel pour la publication de travaux scientifiques. Leur génome originel ne présentait aucune anomalie. Par la technique d’édition du génome CRISPR, le scientifique a modifié le gène CCR5 des deux embryons humains. Ce gène code une protéine utilisée par certaines souches du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) pour infecter les cellules du système immunitaire. Par cette modification, le chercheur espère « immuniser » ces deux petites filles contre le virus du sida. Cependant, d’autres études ont également montrées que ce gène est un facteur important de notre système immunitaire. Il aide nos cellules à résister contre d’autres types de virus (les flavivirus) comme la dengue ou la fièvre jaune.
Au delà de l’absence d’évaluation par les pairs, les résultats annoncés par He Jiankui ne sont pas sans conséquence tant du point de vu technique, biologique, qu’éthique. Comme le rapporte la revue scientifique Nature dans son article du 30 Novembre 2018, un premier obstacle technique est l’effet de mosaïque, c’est-à-dire que toutes les cellules de l’embryon n’auraient pas été modifiées de la même manière. Elles présenteraient différentes versions éditées du gène CCR5, incluant des mutations dont les effets n’ont jamais étaient étudiés à ce jour. Il est donc impossible de prédire leurs conséquences sur l’être humain.
Par ailleurs, les embryons modifiés ne portaient aucun gène « défectueux ». Les travaux de He Jiankui n’ont donc pas été produits dans un but thérapeutique, mais dans le but de conférer un avantage sélectif vis-à-vis du virus du sida. Ils s’inscrivent dans une vision d’« amélioration de l’espèce, voire de transhumanisme, et donc de l’eugénisme », note le Pr. Loynnet, directeur général de l’Institut Imagine à Paris, lors d’un entretient avec le magazine L’Express. En effet, ces modifications introduites par le chercheur chinois sont présentes dans les cellules germinales, autrement dit dans les gamètes. Elles peuvent donc être transmises aux descendants de Lulu et Nana.
Ce débat éthique lié à la manipulation des génomes et à l’utilisation d’embryon est nécessaire mais pas nouveau. Il était déjà vif en 1996, après l’annonce du premier clonage de mammifère : Dolly. Plus récemment, la mise à disposition en 2013 d’un dépistage prénatal non invasif à partir d’un échantillon de sang de la mère, avait suscité de fortes réactions. Ce test donne éventuellement accès au génome du fœtus et permet de diagnostiquer les potentiels anomalies génétiques pouvant conduire à une interruption de grossesse.
Vers une harmonisation des lois de bioéthiques internationales ?
Á l’avant-garde de l’actualité de cette fin d’année 2018, le comité d’éthique de l’INSERM écrivait dans son rapport de 2016 que « la technique elle-même [CRISPR] n’appelle pas de question éthique contrairement à son usage dans certains contextes. (…) Ces potentialités doivent nous conduire à examiner l’usage de la technologie CRISPR-Cas9 au regard des règles actuelles qui encadrent les technologies génomiques et en quoi elles pourraient nous amener à recommander des règlementions complémentaires ». Deux ans plus tard, les expériences de He Jiankui, jugées d’ « irresponsables » et de « non conformes aux normes internationales » par la communauté scientifique, mettent en avant des problèmes liés à la disparité des législations internationales de bioéthique.
Déjà en 2014, les scientifiques se demandaient dans quel pays le premier « bébé CRISPR » serait né, en analysant les régulations concernant les modifications du génome humain de la lignée germinale, à travers le monde. En France, comme dans la plupart des pays Européens, elles sont pour le moment interdites. Au Royaume-Uni, elles sont prohibées pour une aide à la procréation, mais sont tolérées dans le cadre de certaines recherches. En Chine, au Japon ou en Inde, des décrets restreignent cette pratique. Aux États-Unis, malgré un appel du NIH (Instituts américains de la santé) à développer « un consensus international afin de limiter ce type de recherche », aucune loi ne les interdit. Pour le comité d’organisation du second sommet international sur la modification du génome humain (Novembre 2018, à Hong Kong), une solution serait que les institutions de recherche à travers le monde soumettent des propositions de loi à leur gouvernement respectif, pour permettre une coordination au niveau mondiale. Un registre international des recherches précliniques impliquant des modifications d’embryons humains a également été suggéré. Ainsi, il est clair que les récents travaux scientifiques du chercheur He Jiankui auront très certainement un impact sur la révision des lois françaises de bioéthique qui aura lieu courant 2019.
M.A. - Article paru dans JS2, 25 Décembre 2018
• « CRISPR/CAS9 : une méthode révolutionnaire » – Une vidéo explicative du mécanisme CRISPR. Léa Lemierre/ Inserm(DISC). 2016
• « Débat éthique de l’usage d’embryon comme model par rapport aux cellules souches » Nicolas Rivron, Martin Pera, et . al. Nature, 13 Décembre 2018. vol 564, p183.
• « Le paysage de l’édition du génome humain ». Nature, 15 Octobre 2015, vol 526 p 310.
• «Saisine concernant les questions liées au développement de la technologie CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeat)-Cas9», Rapport du Comité d'éthique – INSERM, Février 2016
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