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jeudi 25 octobre 2018

Une histoire d’amour entre médecine et chronobiologie

  La nuit du dernier dimanche d’octobre, c’est le passage à l’heure d’hiver. Mais n’oublions pas notre horloge biologique ! Des chercheurs de l’université de Pennsylvanie ont récemment montré l’importance de synchroniser la prise de médicaments avec notre horloge interne.

Notre organisme : cette horloge bien paramétrée.
         Notre corps est synchronisé sur le rythme d’une journée (24 heures). Vers 21 heures, il s’apprête à se mettre au repos avec un début de sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil. Notre hormone du stress : le cortisol, est au plus bas. Notre température corporelle et notre activité intestinale diminuent. Notre cerveau quant à lui va entrer dans une phase de consolidation de la mémoire. Au petit matin, les premiers rayons du soleil nous réactivent. Les sécrétions de mélatonine diminuent, la température de notre corps augmente, notre intestin s’anime : nous sommes prêts à commencer notre journée.
Ce rythme biologique de notre organisme, d’une durée d’environ 24 heures (ou rythme circadien) est orchestré par notre horloge interne. Elle est principalement localisée dans un groupe de neurones situés dans notre cerveau, mais également dans nos organes périphériques pour un contrôle local et plus précis du rythme de nos fonctions physiologiques.
          L’état physiologique de notre organisme varie ainsi au cours de la journée. En est-il de même pour sa réponse à un médicament donné ? L’efficacité d’un médicament dépend de son absorption, distribution, de son métabolisme et de son élimination. Ces propriétés sont étroitement liées à l’état d’activité et d’accessibilité de l’organe ciblé qui varient selon l’heure de la journée. Par exemple, contrairement à un traitement administré en journée, une prise d’antiépileptiques en soirée s’est avérée plus efficace dans la diminution des risques de crises chez des patients atteints d’épilepsie. Ainsi, les chronothérapies prennent en compte le moment qui coïncide avec l’état physiologie optimum du tissu ciblé pour l’administration d’un médicament.

Une communication avec le cerveau réglée sur le rythme circadien.
          Pour atteindre notre cerveau, les molécules et médicaments présents dans notre sang doivent franchir une barrière de séparation localisée entre notre cerveau et les capillaires sanguins : la barrière hémato-encéphalique. Celle-ci protège notre cerveau des substances potentiellement dangereuses (toxines, bactéries) tout en permettant un approvisionnement en nutriments et en oxygène, ainsi que l’évacuation des déchets occasionnés. Bien que cette barrière constitue une protection majeure pour notre cerveau, la question de la délivrance (et rétention) des molécules thérapeutiques vers celui-ci se pose. Par exemple, pour le traitement de troubles neurologiques comme l’épilepsie, les molécules administrées doivent atteindre le cerveau pour être efficaces.
          Récemment, des chercheurs de l’université de Pennsylvanie se sont emparés de cette question. Quel est l’impact du rythme circadien sur la capacité de ces molécules à cibler le cerveau ? Pour cela, ils ont utilisé la mouche du vinaigre (la drosophile), un organisme modèle couramment employé en recherche fondamentale. En plus de sa petite taille, elle partage de nombreux gènes et mécanismes biologiques fondamentaux avec l’espèce humaine. Ils ont pu ainsi montrer qu’à dose égale, les molécules thérapeutiques atteignaient plus efficacement le cerveau à la suite d’une administration en soirée, et non le matin ou en après-midi. Inversement, des mouches dépourvues d’horloge interne présentent une faible efficacité de délivrance de ces molécules dans le cerveau, quelque soit leur moment d’administration. Le rythme circadien, et donc le moment de prise d’un médicament, a un impact majeur sur son mode d’action. Ceci n’est pas sans rappeler les effets d’une administration en soirée de molécules antiépileptiques chez des patients atteints de crises d’épilepsie.

Quand une cellule dicte son rythme.
          Comment l’accès et la rétention de ces molécules dans le cerveau sont-ils régulés ? – Tout comme notre barrière hémato-encéphalique, la drosophile possède une barrière constituée de deux couches de cellules qui permettent la séparation du cerveau et de l’hémolymphe (l’équivalent de notre sang). Ainsi, une première couche de cellules, dites PG (perineuriales), est en contact avec l’hémolymphe. Une seconde couche de cellules, dites SPG (subperineuriales), est quant à elle en contact avec le système nerveux et assure le transport de molécules entre le cerveau et l’hémolymphe. 
          Des systèmes similaires et conservés entre les mammifères et la drosophile régulent la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Des molécules d’adhésions assurent la cohésion des cellules entre elles et l’étanchéité du tissu. Des canaux de transports, dont l’activité peut être modulée par la concentration d’ions dans la cellule, permettent les échanges de molécules entre les différents compartiments (cerveau-hémolymphe). Au cours de leur étude, les chercheurs ont pu montrer que les cellules SPG, mais pas les PG, étaient responsables de l’expulsion des molécules thérapeutiques du cerveau vers l’hémolymphe, et ce par l’intermédiaire des canaux de transports.
          Comment expliquer le caractère cyclique de la rétention de ces molécules dans le cerveau ? – Une inhibition spécifique du rythme circadien dans les cellules PG (perineuriales) ou SPG (subperineuriales) a permis de montrer que le cycle circadien de la rétention des molécules dans le cerveau dépendaient non pas de l’horloge interne global de l’individu, mais spécifiquement du cycle circadien des cellules de types PG. De manière surprenante, les cellules SPG, responsables de l’expulsion des molécules, ne possèdent aucune horloge interne. Ce sont les cellules PG qui vont induire le caractère cyclique de cette l’expulsion par les cellules SPG. Ces dernières régulent l’étanchéité et donc les échanges entre les deux couches de cellules de la barrière, grâce à une modulation des protéines d’adhésion. Une réduction de la communication cellulaire permet aux ions (ici le magnésium) de s’accumuler dans les cellules SPG. Les canaux de transports sont ainsi s’activés, ce qui entraine l’expulsion des molécules thérapeutiques vers l’hémolymphe. À l’inverse, une production nocturne des protéines d’adhésion par les cellules PG va favoriser les échanges d’ions entre les deux cellules. La concentration en magnésium dans les cellules SPG sera diminuée. L’activité des canaux de transports et l’expulsion des molécules sera alors réduite. L’activité cyclique des cellules PG va ainsi avoir un impact sur l’expulsion des composés thérapeutiques, contrôlée par les cellules SPG.
          Le rythme circadien de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique ainsi observée pourrait expliquer les variations de réponse aux médicaments au cours de la journée, mais également les corrélations entre un niveau élevé de canaux de transports et une absence de réponse aux médicaments chez certains patients atteints de crises d’épilepsie. Cette étude met en évidence un paramètre important : l’horloge interne de la barrière hémato-encéphalique qui, si pris en compte, pourrait améliorer l’efficacité des protocoles de chronothérapie pour la délivrance de substances dans le cerveau. Voici une raison de plus pour la médecine de s'intéresser à notre horloge circadienne. 


M.A. - Article paru dans JS2, Octobre 2018


Pour aller plus loin:


REFERENCES : 
Zhang SL, et al. (2018) A Circadian Clock in the Blood-Brain Barrier Regulates Xenobiotic Efflux. Cell. Mar 22;173(1):130-139.e10

Loscher, et al. (2011). Do ATP-binding cassette transporters cause pharmacoresistance in epilepsy? Problems and approaches in determining which antiepileptic drugs are affected. Curr. Pharm. Des. 17, 2808–2828.

Yegnanarayan, et al. (2006). Chronotherapeutic dose schedule of phenytoin and carbamazepine in epileptic patients. Chrono- biol. Int. 23, 1035–1046.

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