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mardi 25 septembre 2018

La Compétition cellulaire: Quand nos cellules se font la guerre


  L’été dernier, des chercheurs ont mis en évidence un mécanisme de signalisation cellulaire qui permet l’élimination des cellules défectueuses au sein de nos tissus. Cette découverte permet d’en apprendre davantage sur la dynamique de nos tissus. 
Un écosystème bien particulier 
      Au sein de nos tissus, nos cellules évoluent dans un écosystème bien particulier. En plus de se diviser, se différencier ou d’être tout simplement éliminées, elles intègrent divers signaux à l’origine de l’orchestration de ces différents évènements. Une perte importante de cellules causée par une blessure : un signal de production massive de nouvelles cellules sera alors généré. Ainsi, nos cellules reçoivent et intègrent les informations provenant des autres cellules qui les entourent. 
      Bien que l’ensemble des cellules de notre corps possèdent la même information génétique, des mutations vont s’accumuler au fil du temps, et peuvent avoir un impact plus ou moins important sur les propriétés physiques et physiologiques de nos cellules : prolifération, intégration des signaux, production d’énergie, absorption des nutriments... Nos cellules ne sont donc pas identiques les unes par rapport aux autres. 
      Elles ont également une durée de vie limitée, à l’exception de certains types cellulaires. Dans notre foie, nos cellules vivent entre 300 et 400 jours. Il faut compter un mois pour les cellules de la peau et une dizaine de jours pour celles de la rétine. Mais le record est détenu par les cellules de l’intestin avec une durée de vie d’environ 4 jours. Un renouvellement perpétuel de nos cellules est ainsi nécessaire pour la plupart de nos organes, et dépend de la capacité qu’ont certaines cellules à se diviser. 
Un système de control permet de détecter les cellules défectueuses (« les perdantes »), puis de les éliminer par un mécanisme de comparaison des cellules les unes par rapport aux autres. 

Une compétition entre cellules : un mécanisme de surveillance de nos tissus 
      L’élimination de nos cellules n’est cependant pas complètement aléatoire. En effet, des cas de mort cellulaire induite par les cellules voisines ont été observés. On parle de compétition cellulaire. Comme un animal entrerait en compétition avec ses congénères pour étendre et défendre son territoire, nos cellules sont en compétition les unes par rapport aux autres pour l’occupation de l’espace limité de nos tissus. La loi du plus fort et du mieux adapté est ainsi de mise pour nos cellules. 
      Différentes situations peuvent mener nos cellules à entrer en compétition. Par exemple, un trop grand nombre de cellules dans l’espace confiné de nos tissus entraine des phénomènes de compression semblable à celle que nous subissons lorsque nous entrons dans le métro à l’heure de pointe. Les cellules les plus aptes à supporter ces pressions vont davantage comprimer les cellules les plus «faibles » jusqu’à l’élimination de ces dernières. 
       De nombreux signaux de survie et de croissance sont diffusés au sein de nos tissus. Ils peuvent impacter sur la vie de nos cellules (division, mort…). Ainsi, des cellules capables de « s’accaparer » la plupart de ces signaux au détriment d’autres cellules vont ainsi bénéficier d’un avantage sélectif. De même qu’une faible capacité à capter ces signaux vitaux entrainera un destin funeste. 
      La présence de certains marqueurs à la surface des cellules est également suffisante pour conférer un destin de cellule « perdante » ou « gagnante » au sein du tissu. Ainsi, l’interaction d’une cellule labellisée « gagnante» avec une cellule labellisée « perdante», entrainera la mort de cette dernière. De manière générale, un système de control permet de détecter les cellules défectueuses, puis de les éliminer par un mécanisme de comparaison des cellules les unes par rapport aux autres. 

Une signalisation des cellules défectueuses 
      Le phénomène de compétition cellulaire a été rapporté pour la première fois en 1975, chez la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster) avec la caractérisation des mutations dites « Minute ». Ces mutations ne sont pas viables à l’état homozygote, c’est à dire lorsque les deux copies du gène sont mutées. À l’état hétérozygote, quand une seule des deux copies du gène est mutée, les mouches atteignent leur état adulte. Il leur faut cependant plus de temps pour se développer. Lorsque cette fois-ci, ces cellules hétérozygotes sont présentes au sein d’un tissu ne portant aucune mutation Minute – on parle alors de tissu mosaïque, elles vont avoir une expansion limitée et vont être activement éliminées par les cellules plus aptes à se maintenir au sein du tissu. Les cellules restantes : les « gagnantes », vont alors pouvoir remplacer les « perdantes ». 
      Les mutations Minute sont localisées dans des gènes codant des protéines ribosomiques, impliquées dans la synthèse des protéines. Une réduction de la synthèse protéique ralentie la croissance cellulaire. Ce phénomène pourrait expliquer le désavantage sélectif causé par ces mutations. Cependant, des chercheurs ont récemment montré qu’il s’agissait d’un problème de signalisation, et non d’un défaut de production de protéines. Ils ont mis en évidence une mutation dans le gène Xrp1, capable d’empêcher l’élimination des cellules hétérozygotes pour la mutation Minute au sein d’un tissu mosaïque. L’effet de compétition cellulaire est ainsi réduit voir supprimé. Le gène Xrp1 code un facteur de transcription qui une fois exprimé, active l’expression d’un réseau de gènes causant un désavantage sélectif. Ainsi, lorsqu’une cellule possède des protéines ribosomiques défectueuses au sein d’un tissu mosaïque, celle-ci va activer l’expression du gène Xrp1, acquérir les caractéristiques d’une cellule « perdante », et ainsi d’être éliminée. 

Un frein à l’expansion des cellules cancéreuses ? 
      De nombreux gènes impliqués dans le processus de compétition cellulaire ont été identifiés chez la drosophile, les mammifères ou encore le poisson-zèbre. Une fois muté, les cellules vont acquérir un profil de « perdante» ou « gagnante ». Ces investigations ont permis de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans ce phénomène d’élimination des cellules défectueuses.
      Certaines mutations comme celles du gène myc confèrent un état de super-compétitrice aux cellules. L’activation de ce proto-oncogène est impliquée dans les processus d’initiation des cancers, et induit l’élimination des cellules non-mutées. Une mutation du gène Xrp1 rend les cellules incapables de se comparer les unes par rapport aux autres. La découverte d’une telle mutation suggère une potentielle abolition de la compétition entre des cellules seines et des super-compétitrices, ce qui permettrait le maintient des cellules non-cancéreuses au sein des tissus.


M.A. - Article paru dans JS2, Septembre 2018

LEXIQUE : 
Phénotype et Génotype : Le phénotype défini l’ensemble des caractères que l’on peut observer chez un individu. Le génotype fait référence à l’information génétique à l’origine du phénotype. 
Tissu mosaïque : On parle de mosaïque lorsque des cellules ayant différents génotypes coexistent au sein d’un même individu. 
Mutation : Une mutation est une modification de l’information génétique qui entraine un changement de la séquence d’ADN. 
État homozygote et hétérozygote : Chaque individu ou cellule possèdent deux copies de chaque gène. On parle d’homozygotie lorsque deux mêmes versions d’un gène sont présentes, et d’hétérozygotie lorsque les deux copies d’un gène sont différentes.


Pour aller plus loin:



REFERENCES : 
Lee et al. (2018). A Regulatory Response to Ribosomal Protein Mutations Controls Translation, Growth, and Cell Competition. Dev Cell. Aug 20;46(4):456-469.e4. 

Morata, G. and Ripoll, P. (1975). Minutes: mutants of drosophila autonomously affecting cell division rate. Dev. Biol. 42, 211-221.
 

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